Cet article a été écrit à six mains. Les passages en italique sont d’Athéna et Indira.
« -3 tickets to Mahim please
-you want to go to the church?
-no, to Dharavi
-… »
Très intriguées par ce plus grand bidonville d’Inde, Athéna et Indira ne voulaient même pas mettre les pieds à Mumbai lorsque nous préparions le voyage. J’avais alors décidé au contraire que le voyage commencerait par là, et que nous irions visiter Dharavi.

Je trouve sur internet l’agence « reality tours and travel », qui organise des visites de Dharavi en petits groupes, afin de changer l’image que l’on peut avoir d’un bidonville. Les habitants ne restent pas assis à rien faire toute la journée. Dharavi est riche d’activités commerciales et produit plus de 660 millions de dollars par an. C’est justement cette activité qui rend Dharavi si différent des autres bidonvilles. L’agence veut donc en montrer le côté positif et dynamique ; nous prenons nos tickets pour vendredi matin. Si les photos sont strictement interdites lors de ce tour, nous obtenons quand même une autorisation pour qu’Athéna et Indira puissent partager leur expérience avec leurs camarades de classe. Je dois demander l’accord de notre guide « Champ´ » (« like Champion ») avant chaque prise. Très frustrée par le nombre d’images qui m’échappent, je comprends néanmoins que j’ai obtenu une faveur exceptionnelle.
Accompagnées de trois américains, la visite commence pour deux heures. Aladin et Vénus sont restés à la maison.



Les visites de l’agence sont pour soi-disant nous faire changer d’opinion sur les bidonvilles et en particulier Dharavi. Oui parce que nous on croyait que Dharavi était un bidonville comme les autres, avec des maisons en bidons, plastiques et ferrailles. Et bah pas du tout. Dharavi c’est plus que ça ! Ca fait depuis le 18e siècle qu’il existe. Toutes les maisons sont en béton, il y a des supermarchés, des transferts d’échantillons de plastiques partout dans le monde, des salles informatiques, du recyclage d’aluminium… Enfin bref ils ont tout quoi !

Les bidons de peintures ou autres produits seront recyclés. Les plastiques durs arrivant ici sont transformés en granules, et revendus.
Indira poursuit l’explication :
On a commencé par visiter la partie commerciale, on a appris que des pays des quatre coins du monde envoyaient à Dharavi de vieilles pièces en plastique (ordinateurs, téléphones, télévisions, verres en plastiques usés, cadres d’écrans, etc.) que les habitants recyclent à l’aide de leurs grosses machines, pour en faire de petits bouts de plastique. Par ailleurs, les femmes sont moins bien payées que les hommes.
Les ouvriers la-bas travaillent sans aucune sécurité, ni pour les yeux, ni pour les mains… Ce qui est très dangereux. complète Athéna.
On a vu aussi des couturiers qui créaient des vêtements pour le nord de l’Inde, des personnes qui fabriquent du cuir, des potiers, des « boulangers » (ils ne font que les gâteaux secs, Khari, biscuits indiens utilisés pour le thé ou le café), des dames qui cuisinent des feuilles de Papad, c’était sympa !
Mais est venue la partie plus difficile de Dharavi : nous sommes passés dans une »ruelle » (pour ne pas dire passage) si petite et si étroite que l’on a dû se resserrer et se baisser pour pouvoir avancer. Le monde avait l’air tout petit. Il y a avait à peine 1 m 50 de largeur de rue. Il faisait très noir et seule la lumière des maisons qui sortait par l’ouverture de la porte laissait une possibilité de voir devant soi. Les habitations faisaient à peu près dix mètres carré par étage et c’était sombre, très sombres, malgré leur électricité.
Ils ont trois heures d’eau par jour, ils doivent donc remplir des tonneaux pour tenir une journée.
Au final, les avis dans la famille sont partagés :
Papa n’avait pas voulu venir parce qu’il trouve que les gens ici sont trop exploités, et que le monde est trop inégal. Il a du mal à supporter ces injustices. C’est vrai que leur vie est vraiment difficile, ils sont très pauvres, et travaillent dans des conditions très dures.
Maman, elle, trouve ça formidable de trouver la force d’être dynamique et productif dans de telles conditions de vie. C’est pour ça qu’elle a voulu nous montrer dharavi.
Moi, Athéna, je trouve que la vie n’a pas l’air si compliquée que ça, ils ont de quoi se nourrir, de quoi boire, des véhicules, pour certains de quoi gagner de l’argent. Je ne dis pas qu’ils ont la vie en rose, simplement qu’ils ont le minimum pour vivre. Voila ce que je retiens de la visite et ce que je pense qu’est Dharavi au fond…
Moi Indira, j’ai trouvé que cette visite était géniale. D’après le guide, si on avait tout visité, ça aurait pu faire deux jours de visite, mais, ces deux heures m’ont suffit pour comprendre que ce n’était pas du tout comme je l’imaginais : je m’attendais plutôt à un gros bidon-ville avec de petits chemins, des maison en bâche, toile, et peut-être un peu en bois, toutes entassées les unes sur les autres…
Nous avons aussi appris qu’ici, les hommes gagnent au mieux 150 roupies par jour (moins de deux euros) pour douze heures de travail, et les femmes encore moins. À Dharavi, comme dans les 2000 autres bidonvilles de Mumbai, il y a un toilette public pour 1 500 habitants. 1% seulement de la population ont leurs propres toilettes, et 70% utilisent la rue, les terrains publics, les canalisations ou les tas d’ordure pour déféquer. En découlent évidemment des maladies importantes telles que la malaria, la dysenterie, le choléra ou la typhoïde. L’accès aux soins n’étant pas gratuit, il reste compliqué pour les habitants de Dharavi.
Dans cette ville de la taille de cinq cent terrains de foot, vingt fois plus dense que le reste de Mumbai, une des densités les plus élevées du monde (570 000 habitants par km2), cohabitent plus d’un million d’indiens, avec leurs différences, leurs richesses, leurs faiblesses et leurs travers, partageant une vie que l’on ne peut pas imaginer en deux heures de temps.
On ne peut pas non plus imaginer l’avenir de Dharavi. En 2004, le gouvernement a lancé un plan de réhabilitation. Il prévoyait de reconstruire des logements neufs, gratuits pour les habitants installés avant 1995, à vendre pour les nouveaux venants. Pour des raisons de corruption, et de travers humains, ce plan n’a jamais abouti. Par ailleurs, rien n’avait été envisagé pour les entreprises qui auraient dû quitter les lieux.
Une autre solution consisterait à réhabiliter Dharavi avec la participation de ses habitants, quartier par quartier. À eux alors de prendre en charge les services de collectes d’ordures, les sanitaires, etc. Rien n’est prévu à ce jour …
Notons ici que 80% des recettes des visites de « reality tour and travel » retournent à Dharavi via une ONG proposant notamment des formations à de jeunes adultes (anglais, informatique, et développement personnel).


Dans les locaux de « Reality tour and travel », Indira et Athéna remplissent un questionnaire de satisfaction.